Lorsqu’il est question d’albums mythiques du hip-hop francophone, haïtien et québécois produits depuis les dernières décennies, nous nous devons de mentionner « J’Rêvolutionne ». Cet album culte a été réalisé à l’automne 2002. C’est un projet qui invoque et insuffle la créativité, la revendication et une ingéniosité onirique. C’est également le rêve de concevoir une révolution au niveau artistique et musical, si nous prenons le temps de bien disséquer le paradigme de cet album unique en son genre. Spécifiquement, c’est en date du 19 novembre 2022 que J’Rêvolutionne prend le marché artistique d’assaut. Plusieurs fanatiques et nostalgiques des « morniers » se rappellent du lancement de cet album qui fut diffusé en direct sur les ondes de Musique Plus. C’était un lancement spectaculaire, rassembleur, organique et très holistique. Le tout a été archivé par Blaznez sur une chaîne YouTube archivistique. Suite à plusieurs spectacles, événements réalisés au Québec, un Prix Félix décerné en date du 4 novembre 2000, et notamment une tournée à succès en Europe avec NTM, Muzion entame la production de leur second album.

Essentiellement, le processus de production de « J’Rêvolutionne » était axé sur un esprit de famille et l’engagement social. C’est ce qui transparaît dans plusieurs titres de l’albums tels que : La Classe Disparue, Nap Débaké . Notons que La Dynastie des Morniers était grandement impliquée dans le processus promotionnel de cet album. On se rappelle encore des diverses interventions de Le Voyou (Lovhard Dorvillier) dans le cadre de diverses émissions radio de l’époque dont Nuit Blanche (102.3 FM, Mtl Qc) et Le Kashow (89.3 FM, Mtl Qc) en vue de promouvoir l’album « J’Rêvolutionne ». Pendant une bonne partie de l’année 2002, il accorda diverses entrevues en vue de galvaniser les fans de Muzion à la sortie de ce nouvel album tant attendu. C’était leur second projet depuis la sortie de l’incontournable « Mentalité Moune Morne : Ils n’ont pas compris » en date du 31 mai 1999. Particulièrement, tel que relaté par Jenny Salgado lors d’une entrevue accordée dans le cadre de l’ouvrage Les Boss du Québec (pp.54-pp.58), le processus créatif de ce second album entraîna son lot de pression et d’exigences de la part des administrateurs de leur label de l’époque BMG Music Group Canada/Sony. C’était une période où Muzion voulait maintenir son indépendance créative, tout en tentant d’accroître sa réputation commerciale. Somme toute, la formation malgré tous les défis à l’horizon a su maintenir son intégrité artistique.

Tout comme son prédécesseur, Mentalité Moune Morne, J’Rêvolutionne reçoit sont lot de récompenses au niveau médiatique, culturel, social et artistique. Cet album est acclamé à la 25ième édition du Gala de l’ADISQ en date du 26 octobre 2003, et reçoit le Prix du Meilleur Album Hip-Hop de l’année. Certains titres très thématiques de l’album J’Rêvolutionne qui ont marqué les générations d’hier à aujourd’hui par leur originalité sont les suivantes:
Le Concept (Tome IV), cette pièce conclut la lignée des titres concepts cumulés par Muzion entre 1996 et 2002 ” Ils n’ont pas de métaphores, ils n’ont que des métafaibles” , le slogan des Concepts antérieurs. Dans le Concept tome IV, Muzion continue d’explorer certains côtés factices des multinationales et de l’establishment artistique voulant avoir sa mainmise sur la culture Hip-Hop. Le collectif prend aussi le temps de s’attaquer à plusieurs rappeurs détracteurs, jaloux et envieux de leur présente carrière artistique, tel que Dramatik le démontre dans son couplet avec exactitude ” Tout l’monde scratch, tout le monde break tout le monde rappe/ donc tout le monde trouve tout le monde wack/ le hip-hop d’ici manque d’originalité/ par habitude les gars refusent de pratiquer/ oh je garde mon shit underground/ t’es pas underground t’es paresseux, même ton nouveau maxi paraît vieux/ écoute avant de blâmer le gala de l’Adisq/ Y’en a qui font des beats et pas de la musique/”
Démondialisation, sur cette pièce très revendicatrice et dénonciatrice, Imposs et Dramatik échangent des rimes avec furie, intrépidité et consistance qui examinent en profondeur les côtés problématiques de la mondialisation mondiale sévissant à travers le monde depuis le début des années 2000. Les paroles suivantes de Imposs démontrent avec spécificité certains problèmes éducationnels liés à un monde de plus en plus globalisé au niveau sociopolitique : Après leurs campagnes, ils changent rien,/En bas c’que les gens gagnent du change ou rien./ Pour ça, j’unis mes vers et j’vais les citer/ À vos jeunes excités/ À gravir d’la maternelle à l’université/La vie paraît belle dans cet univers/ Si t’es hypnotisé par les livres/ Qui crèvent tes rêves d’enfance/ Fais pour prohiber nos idées/ Et profiter pour reprogrammer/
Nap Débaké, par ses rythmes rara, racines et up-tempo nous démontre un Muzion très fiers de leurs racines traditionnelles, folkloriques, animistes et ancestrales. C’est une très bonne à la suite logique et subséquente de Lounge with Us. D’autant plus, que Nap Débaké pourrait être perçu comme une des premières pièces « rap racines » à être réalisée et commercialisée dans l’Histoire du Hip-Hop Haïtien et du Québec “ Fèt lan krazé/ nap débaké/ moun tèt chajé / si ou pat paré/ zafè’w ki gad/nou fek carré/ lagué baton! “ Cette rime de Jenny Salgado résume grandement le ton torride de ce morceau entraînant, dansant, enivrant et surtout atemporel !
Acceptez-vous les Frais, est un interlude pourrait être considéré comme un des meilleurs réalisés dans l’histoire du hip-hop au Québec. Il décrit avec une certaine dose de réalisme l’impact relationnel et social que peut l’incarcération d’un proche sur son entourage immédiat. Cet entracte a été très bien scénarisé et démontre avec excellence les talents d’orateur de Le Voyou (Lovhard Dorvilier).
On ne peut passer à côté du titre promotionnel et single de ce second opus, Men Malad Yo. Sur cette pièce aux sonorités zouk, rap et konpa, Muzion collabore avec le légendaire Jacob Desvarieux du groupe monumental Kassav. C’est tout de même un morceau léger sur lequel, les membres de Muzion exhibe des paroles toujours percutantes et substantielles. Un parfait exemple sont ces paroles anticonformistes tirées du couplet à Jenny Salgado (J.Kyll) ” Depuis que je suis née, ma mère s’inquiète/ J’suis malade/ Tout le monde sait que la société me rejette/Mais ils ne me feront pas me soumettre/ À cette mascarade/ Oh non,/ Je tiens à perdre ma tête/ J’veux pas de lavage de cerveau/ J’préfère être analphabète/ Je sais que je vaux cher mais s’il faut qu’on m’achète/ Je quitterai l’école pour le vedettariat/”
C’est la Jungle dehors, est un titre très up-tempo qui montre clairement que Muzion a pu s’adapter en toute hybridité aux sonorités hip-hop contemporaine, électro- bounce, jiggy du début des années 2000. La voix de L.D One est juste si sublime, hypnotique et enivrante sur le refrain de cette pièce très entraînante “On m’a traité comme un animal/ Chassé comme un animal/ Mis en cage comme un animal/ J’ai la rage d’un animal/ C’est la jungle dehors”. C’est une pièce dont le message de fond est axé sur la survie des êtres humains dans la présente civilisation occidentale “Babylone” gérée et programmée par une psychologie très bestiale qui contient plusieurs méfaits et causalités.
La Classe DispaRUE (HELL) quant à elle est une pièce qui décrit très bien l’exclusion sociale, la marginalisation et l’ostracisme sociologique dont la jeunesse défavorisée et pluriculturelle de Montréal (Qc) et du monde d’aujourd’hui fait face. Muzion a laissé les membres de la Dynastie des Morniers sur cette track culte. Ce que l’on constate par les lyriques qui suivent : Blaznez décrit très bien son analyse sociale dans une société marginalisée et comme étant un jeune homme colombien vivant en Amérique du Nord ” On veut rétablir le score chaque nuit qui s’lève/ On enterre combien d’corps encore/ C’est le prix du piège/ Mais on oublie qu’on a encore des privilèges/ C’est pas une game, dehors les types y niaisent/ La colombe fuit d’la Colombie/ D’où je viens les jeunes ne rêvent plus. ” Les paroles de E-Nice très percutantes sont les suivantes ” J’suis en train d’crever tu l’vois pour que vous preniez du poids/ Nous on mange seulement les premiers du mois/ Vous dites quoi, que j’ai eu l’choix- Quel choix ? / Jusqu’ici j’suis resté droit/ Mais still tu m’vois comme un criminel tu m’pointes du doigt/ Fuck you/ Si j’ai un gun j’le pointe sur toi, j’me pointe chez toi/ ” Le Voyou a vraiment clarifié son idéologie culturelle chérit par plusieurs jeunes qui ont grandi dans les mêmes conditions sociales que lui. Il en profite pour expliquer pour expliquer son statut et positionnement face à la société très inégalitaire dans laquelle, il a évolué ” Le Voyou c’est plus qu’un nom c’est un statut/ Quand il le fallait, j’y allais, dans le temps je me battais dans la rue/ Je croyais que les gangs donnaient un sentiment d’appartenance/ Mais quand j’mécarte et pense/ C’est chacun pour soi, Dieu pour tous, j’ai carte blanche, regarde le sens/ Chacun sa cause dans ce combat ” De son côté, Narra nous explique les difficultés d’assumer ses responsabilités parentales et professionnelles dans ce système qui nous ostracise et nous cause de multiples problèmes si on s’oppose à sa structure conventionnelle ” Ma Baby mom parle fais ci, fais ça, trouve une job, un 9 à 5/ J’te dis j’peux pas- j’suis un thug/ Ça me bogue,/ Chérie, j’veux pas avoir de patron qui m’fait marcher comme un robot/ J’préfère être soi-disant vagabond, m’échapper des popos/ T’as compris, j’veux vivre à ma façon et m’détacher d’la masse des zombies/ Ah shit ! Y’a mon petit garçon qui voit c’qu’on vit/ Donny écoute, t’aime papa/ fait pas comme lui/ . Somme toute, La Classe DispaRUE (HELL) est un morceau qui a non seulement marqué l’album J’Rêvolutionne mais le rap social et réaliste du Québec et de la francophonie par son contenu dénonciateur et immersif.
C’est pas un hasard un autre morceau bien ficelé. Ce sera le tout premier vidéoclip que Muzion réalisera indépendamment après avoir rompu les ponts avec leur label, SONY/BMG Music Group. Ce vidéo décrit concrètement le contexte social du début de la décennie 2000 dans les quartiers du nord-est de Montréal. Le clip fut tourné au Parc Champdoré du quartier St-Michel (Mtl,Qc) en grande partie, lors du mois de mai 2003. Certains sections du vidéoclips montrent des parties du concert d’adieu réalisé par Muzion en tant que quatuor, en date du 25 mars 2003 au Club Soda de Montréal.
C’était un spectacle mémorable lors duquel, Muzion performa devant ses fans de première heure. Certains extraits de ce spectacle ont fait partie du vidéoclip « C’est pas un Hasard ». Sur ce morceau, on dénote également à nouveau un refrain agréable et substantiel de L.D One ” Ils nous veulent à part/ Pour tout posséder/ Tu demandes ta part/ Ils ne vont pas t’aider/ C’est pas un hasard/ Il n’est pas trop tard/ On va pas céder. “
D’autres pièces digne de mention de cet album sont la très personnelle Ne m’en veux pas, sur laquelle Imposs et J.Kyll démontrent leur amour et attachement inconditionnel à leur tendre mère. On ne peut passer sous silence, le très ludique Les Sept, la profondeur textuelle, argumentative et philosophique de Ghetto Génétik entièrement rappée par Dramatik, ainsi que l’ambiance très révolutionnaire de la pièce de clôture, J’Rêvolutionne.
Dans la période post- j’rêvolutionne, les membres de Muzion vont se consacrer entièrement à leur carrière solo et feront quelques rares apparitions en tant que groupe. Ils auront l’opportunité de collaborer au titre 24heures à Vivre qui se retrouvera sur la compilation Welcome to Haiti : Creole 101 du légendaire Wyclef Jean. Ce sera une belle vitrine sur l’internationale pour Muzion. Entre 2005 et 2023, plusieurs projets sont réalisés par les membres du groupes dont les plus notoires: la mixtape Moi et Moi de Imposs feat Narra (2006), l’album Mon Poing d’vue de Imposs (2007), l’album La Boîte Noire de Dramatik (2009), l’album …Et tu te suivras de Jenny Salgado (2010), La mixtape 20HellHeaven de Imposs et Blaznez (2011), l’album Le phénix, il était plusieurs fois de Dramatik (2019) et l’album ÉlévaZiiion (Société distincte) (2020) de Imposs.
Somme toute, l’héritage de l’album « J’Rêvolutionne » est indéniable et incontestable. Nous ne pouvons pas y émettre une critique révisionniste visant à discréditer son impact sur le rap engagé au Québec et dans l’ensemble de la francophonie. C’est un album qui a représenté une tournure dans l’historique du rap pluriculturel et holistique de Montréal. Dès l’arrivée du printemps 2003, on ressentait une nouvelle forme d’énergie au sein de la culture hip-hop montréalaise n’étant plus axée sur une perspective purement holistique et communautariste.
Certains artistes émergents et mêmes des entrepreneurs issus des communautés culturelles ne voulaient plus se ranger derrière cette perspective. C’est ce qu’on appelle en créole haïtien « Le Symptôme Pam Lan Pi Bon » soit ce que je fais est le meilleur au monde!
Subitement, le public avait fait volte-face. Une situation un peu similaire est arrivée sur le plan énergique de l’audience dans la période post-Montréalité 1999. Je peux en témoigner car j’étais présent parmi cette audience et ce public. D’autres valeurs contextuelles sont apparues dès le début du nouveau millénaire. Elles étaient plutôt axées sur le matérialisme, le capitalisme et le consumérisme. Dans ce contexte certains labels indépendants et bien intentionnés ont vu le jour au Québec suite au départ des multinationales. Ce qui était nécessaire pour maintenir l’intégrité artistique de plusieurs hip-hopeurs.
Cependant, l’engagement consciencieux, militant, communautaire et éducatif du public et des fans ne sembla plus le même comme dans la période antérieure à J’Rêvolutionne. Muzion a osé rêvé avec ce second album réalisé, il y a plus de 20 ans. Notre plus grande forme d’inspiration artistique et créative provient de nos rêves comme le décrit certains écrits scientifiques, Patricia L. Garfield (La Créativité onirique, 1997) et Gary Lachman (Dreaming ahead of time, 2022). Comme l’énonce Imposs à la toute fin de J’Rêvolutionne ” J’veux nous guérir/ Contre la fièvre de l’inégalité/ Mon rêve est une réalité/ J’veux une guerre/. ” On ressent ainsi ce sentiment combatif et revendicateur très virulent mis de l’avant par Muzion voulant aller à contre courant contre un establishment aux conventions capitalistes qui ne cherchaient qu’à s’accaparer et à rentabiliser la propriété intellectuelle d’une culture Hip-Hop holistique qui fut si chère pour la jeunesse pluriculturelle du Montréal des années 1990 et 2000. Actuellement, en 2023 le combat continue mais sous une autre forme à l’ère du numérique et de la digitalisation. Cependant, certaines mentalités mériteraient d’être revues en question, par le spectre d’une Rêvolution ! Ils n’ont toujours pas compris!
héritage de Muzion sur le hip-hop mondial 1990-2000-2010-2020-2030-2040-2050-2060-2070-2080-2100, J’rêvolutionne impact sur le rap québ année 1990-2000-2010-2020-2030-2040-2050-2060-2070-2080-2090-2100
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